Une mission. Grieg venait de lui confier une mission de la plus haute importance selon les dires du "patriarche". "J'en ai marre de te voir t'enfoncer dans cette langueur pathétique", avait-il ajouté. Non pas que Grieg ne supportât pas que son petit cousin ne travaille pas. Ailill avait rendu maintes services aux Cannibales pour justifier pleinement son appartenance au gang, quand bien même il n'était pas russe lui-même mais "juste" le petit cousin du grand chef. Non, Grieg ne lui avait jamais reproché son inactivité officielle, du moment que les missions qu'on lui confiait étaient effectuées, et si possible avec brio. Et Ailill avait toujours rempli ses missions avec brio. Aucun échec encore.

Non, ce que Grieg ne supportait pas actuellement c'était l'inaction songeuse de son petit cousin, qui avait fait suite à la mort de son cadet. Ailill était réputé pour partir facilement dans ses songes, mais pas pour être aussi inactif même quand il n'avait aucune mission en cours. Ce comportement n'était pas normal, comme le pensait Grieg, et ce avec raison. Et un comportement anormal était un comportement dangereux. Sans doute le grand chef espérait ainsi sortir Ailill de sa morose léthargie. Sans doute... Et non le grand chef n'agissait nullement par altruisme, mais dans l'intérêt de son gang. Car un membre dangereux devenait... un membre à abattre. Tout comme on amputait un membre putréfié. Ailill avait tout intérêt à ne pas devenir putréfié, s'il ne voulait pas être amputé, réalisa-t-il soudain quand l'ordre de mission tomba. C'est pourquoi il ne broncha pas ni ne rechigna à cette mission pourtant étrange.

Oui, étrange. Grieg avait besoin de récupérer un objet important lui appartenant. Enfin appartenant à la "famille". La famille était importante, lui avait de nouveau assené Grieg. Comme si Ailill ne le savait pas déjà. N'était-ce pas les mêmes raisons qu'il avait lui-même invoqué quand il s'était présenté à Grieg plus de 7 ans auparavant ? Oui la famille était importante. rien ne valait les liens du sang. Mais un objet... Qu'est-ce qu'un objet pouvait donc avoir de si important pour l'envoyer en mission si risquée ? Car oui, pour couronner le tout, cet objet ne se trouvait pas n'importe où, mais hors de-u dôme. Rien de moins. Et pour corser un peu la tâche, Grieg voulait garder la chose secrète, du moins jusqu'à ce qu'il ait récupéré ledit objet. Peu de personne semblait être au courant au foyer, et comble du comble Grieg ne voulait pas non plus que leurs alliés officiels avec qui ils travaillaient le plus souvent, à savoir les Carrion Force, soient au courant.

"Tu n'as qu'à voir avec les Wolves. Mission secrète je te dis, je ne veux pas que quiconque sache ni que ca s'ébruite", avait ajouté Grieg.

Sacré challenge alors. Inutile de dire que quand Ailill avait voulu savoir de quel objet il s'agissait et pourquoi il avait une si grande importance, le grand chef lui avait rétorqué qu'il le saurait en arrivant sur les lieux. Qu'il ne pourrait se tromper, qu'il trouverait l'objet et comprendrait quand il le verrait. Que de mystère, rageait Ailill, alors qu'il pénétrait d'un pas déterminé mais plutôt agacé le bar de la plume calcinée.

Contacter les wolves, et ce en toute discrétion, n'était pas une mince affaire. Inutile de se rendre directement à leur hangar. De un, il n'était pas bien sûr d'y arriver vivant ou en entier, de deux, ce serait raté pour la discrétion. Personne ou si peu devait savoir que le petit cousin de Grieg avait contacté les wolves. Ailill avait donc dû tenter de trouver un endroit plus facile pour les joindre. Les observer quand il en dénichait un, tenter de mémoriser les possibles habitudes qu'ils avaient. Car oui, certains d'entre eux avaient des habitudes, du moins des sortes de coutume, quand ils n'étaient pas en mission. Par exemple l'un des sous-fifres avaient pour habitude d'aller côtoyer le Blue Oyster Bar au retour de chaque mission. Ou son camarade avait tendance à faire une petite balade sur la grande avenue à chaque temps libre... Bref, tout ce genre de petites habitudes avaient été notées et mémorisées un mois durant par Ailill. "Peu importe le temps, mais je veux que cela reste secret", avaient été les consignes de Grieg. Un mois... Un mois qu'il observait autant qu'il pouvait, en toute discrétion.

Il lui avait fallu un mois pour enfin trouver une certaine habitude dans les moeurs de leur chef. Gabriel Wolves. Car non il ne voulait pas parler à ses sous-fifres, mais au chef lui-même. Il voulait traiter en personne avec lui. Il avait enfin réussi à noter que Gabriel se rendait certains soirs de la semaine à la Plume Calcinée. Pas forcément pour y manger, plus pour y boire un verre de temps à autre. Toujours vers les mêmes heures, entre mi-chien mi-loup. Mais jamais le même jour. Une semaine durant, Ailill avait donc attendu à la plume calcinée que le loup daigne entrer dans le petit bar. Ailill devait avouer toutefois redouter que l'homme ne vienne pas. L'autre soir, il était presque persuadé que le wolves avait vu son manège et l'avait démasqué. Il avait pourtant été discret. Mais l'homme avait l'expérience pour lui. Et s'il ne venait pas ? Et si...

Mais le "et si" tomberait à l'eau, constata avec un soulagement certain le jeune cannibale, alors qu'il voyait la haute et imposante silhouette du wolves faire son entrée. Et venir s'asseoir tout près de lui. Il avait donc bel et bien déjouer son petit jeu. Mais à la limite... qu'importe ? le résultat était là. Le wolves était à portée de voix, à défaut d'oser dire à portée de mains (Ailill n'était pas assez fou pour oser mettre les mains sur ce wolves si imposant, il ne faisait décidément pas le poids). Il allait pouvoir lui présenter sa mission. Pourtant...

Pourtant, étrangement, alors que l'autre commandait sa boisson, le jeune irlandais se retrouva bêtement comme paralysé. Aphone. Sa voix refusant soudain de se faire entendre. Il fallait dire que cet homme était impressionnant. Qui des deux allait donc rompre le soudain silence qui les happait ?